L’humanisme est un
mouvement d’ampleur européenne, qui s’est développé à la Renaissance en
regardant vers la culture antique — grecque et latine. Il vise à rendre l’homme
plus humain par cette dernière, mais consiste surtout en un renouvellement
intellectuel et artistique.
1.
Les origines du mouvement
1.1. Sur le mot
Les
« humanités », desquelles notre terme est tiré, sont au moyen âge les
études opposées au domaine du divin ; elles appartiennent ainsi à celui de
l’homme, c’est-à-dire à sa culture. D’abord complément des études théologiques,
les « lettres humaines » vont bientôt s’opposer à celles-ci, avec des
hommes qui ambitionnent d’élargir leurs connaissances.
« L’humanisme »
ne prend le sens plein, que nous lui connaissons bien, qu’au XIXe
siècle.
1.2. Sur le contexte historique
A l’éclosion du treizième
siècle, et cent cinquante ans après le Schisme de Cérulaire (1054), les croisés
de Thibault comte de Champagne vinrent quérir Henrico Dandolo, le doge calculateur
de Venise, qui voulut plus que tout la ruine de Constantinople. Incapables de
payer l’expédition, les francs se virent contraints d’aider Venise à la
conquête non de Jérusalem, mais de la Nouvelle Rome. Celle-ci tombe aux mains
des croisés en 1204, livrée à leur pillage, date enfantant une ère de décadence
dont les Ottomans, en 1453, profiteront.
Lorsque ceux-ci
assiégèrent la ville, les souverains de l’Europe laissèrent crouler le vieil
empire.
Plus en avant, on pourra
aussi voir que la Renaissance du XIIe siècle
— les premières universités, les cathédrales dont le style « gothique »
sera notamment repoussé par la Renaissance italienne qui retournera aux formes
architecturales romaines, les écoles de traduction,
notamment Tolède où les écrits d’Aristote retournent en Europe par le biais des
Arabes, et l’Italie où de Constantinople, en 1204, la querelle des universaux, la naissance de l’individu, etc. — préfigure celle soumise à notre étude.
1204 (Dandolo et Ange, par G. Doré) |
1453 (Mehmet II par Benjamin Constant) |
Ces deux événements eurent
d'importantes conséquences pour les pays d'Europe.
1.3. Les origines italiennes
Ce fut donc en Italie que
débuta la véritable épopée du mouvement, elle-même nourrie par l’arrivé de
l’orient des savants et de leur bibliothèques en langue grecque. Un poète, né
cent ans après la prise de Constantinople par les croisés, est particulièrement
représentatif de l’évolution culturelle italienne. Le petit morceau de poésie
italienne composé par Francesco Petrarca,
poète latin d’abord, érudit nourri de Virgile et traducteur de manuscrits
latins et grecs, là met en scène un amour symbolique pour son revers sensible,
Laure. Il introduisit la forme du sonnet, et sera admiré au cours de la
Renaissance française.
Le XVe siècle
italien connaît un humanisme plus philosophique ; c’est celui qui voit
naître l’Académie platonicienne — Marsile
Ficin (1433-1499), élève d’Argyropoulos, sera le traducteur des œuvres de
Platon et de Plotin, mettant en marche la redécouverte du platonisme, sitôt
christianisé ; c’est celui aussi de Pic
de la Mirandole (1463-1494), auteur d’un ouvrage intitulé : De la dignité de l’homme, ou l’on peut
lire en exergue :
Legi,
Patres colendissimi, in Arabum monumentis, interrogatum Abdalam Sarracenum,
quid in hac quasi mundana scaena admirandum maxime spectaretur, nihil spectari
homine admirabilius respondisse. Cui sententiae illud Mercurii adstipulatur:
Magnum, o Asclepi, miraculum est homo.
Parallèlement, en France
s’organise, avec l’imprimerie inventée — vers 1455 — dans un Saint Empire qui
encore nourri le rêve d’un empire chrétien, puis installée en Sorbonne, une
période d’humanisme religieux : Lefèvre
d’Etaples traduit la bible en français (1523-8).
2.
La doctrine des humanistes
La redécouverte du
platonisme, et de la pensée antique en général, permet à l’Europe de
reconsidérer l’homme et sa raison à sa lumière ainsi que, cependant, à celle du
christianisme (Moïse et Timée, les hébreux et les Pythagoriciens, Job et
Empédocle montrent la fusion opérée).
La doctrine cependant,
bien qu’elle soit diverse, tourne autour d’un point focal que nous chercherons,
ici, chez Pico della Mirandolla :
« Nec certam sedem, nec propriam faciem, nec munus ullum
peculiare tibi dedimus, o Adam, ut quam sedem, quam faciem, quae munera tute
optaveris, ea, pro voto, pro tua sententia, habeas et possideas. »
O
Adam, nous ne t’avons donné ni une place déterminé, ni un aspect propre, ni particulièrement
doté, pour que n’importe quelle place, n’importe quel aspect et n’importe quels
dons tu puisses les obtenir selon ton désir et ton jugement.
Qui
n’admirerait notre caméléon ? [l’homme en tant que possible, Chérubin ou
bête]
Docuit me ipsa philosophia a propria potius conscientia
quam ab externis pendere iuditiis.
La philosophie m’a appris à dépendre, plutôt des
jugements extérieurs, de ma propre conscience.
On retrouve l’écho du « caméléon »
chez Erasme (1469-1536) :
L’homme ne naît pas homme, il le devient.
Cet optimisme se traduira
aussi, en France, par les écrits de François
Rabelais (1494-1553) : les périples de ses héros géants vont ainsi exalter
tous les idéaux de leur temps.
Maintenant toutes disciplines sont restituées, les
langues instaurées ; grecque sans laquelle c’est honte qu’une personne se dise
savant ; hébraïque, chaldaïque, latine…
A ces doctrines plus
théoriques s’ajoutent une esthétique de la langue ; le groupe de « la Pléiade » cultive dans son
jardin poétique l’Antiquité et ses langues, mais désire aussi qu’il pousse de
ces semences une langue française qui les égale. S’ajoute aussi la « Réforme »,
mouvement religieux instigué par Luther
(1483-1546) contre les abus de l’Eglise catholique, tant sur les trafics d’indulgences
que sur la doctrine, éloignée du sens des premiers chrétiens.
Plus nuancé, Michel de Montaigne (1533-1592) considérera,
suivant le renversement du monde opéré par Nicolas Copernic, l’homme non comme
le point vers lequel toute la création regarde, mais celui qui puisse acquérir
l’autonomie du moi, en prenant bien compte des difficultés.
La
reconnaissance de l’ignorance est un des plus beaux et plus sûrs témoignages de
jugement que trouve. (III, 10)
Nous sommes, en effet,
assez loin de l’optimisme exubérant de Rabelais.
3.
Les moyens de réaliser les doctrines
Sous François Ier,
Guillaume Budé (1467-1540) fonde le
Collège royal en 1530, qui deviendra le Collège de France et qui a pour
ambition d’enseigner, outre la grammaire et la rhétorique traditionnelles, les
langues telles que le latin, le grec et l’hébreu, la médecine, etc.
L’imprimerie se développe
dans des foyers qui vont rayonner dans toute l’Europe. Dès le début du XIIIe
siècle, des ateliers laïcs se créent près des universités, mais la reproduction
manuelle des enlumineurs ne permet pas à la plupart de s’acquérir les ouvrages
coûteux. Au XVe siècle, la demande accrue pour la lecture ne peut plus être
satisfaite, et la révolution de Johannes
Gutenberg (v. 1400-1468), reproduisant elle-même la gravure d’images que l’on
connaissait depuis longtemps et l’appliquant, modernisée par des caractères
mobiles en plomb, à l’alphabet.
Des ateliers très vite s’installent
à Paris, à Lyon, à Anvers, dégorgeant dans toute l’Europe des milliers d’ouvrages
à prix modiques, mais ayant pour avantage principal d’offrir un accès direct à
la « source », sans plus s’appuyer sur les commentaires oraux des
clercs. Cette révolution sera donc directement liée à la Réforme de Luther.
Enfin, les voyages, moyen
qui comme l’ouvrage imprimé permet l’accès direct à la source, deviennent de
plus en plus constants : les poètes comme les penseurs plus philosophiques
vont à travers l’Europe, à Rome encore, mais aussi à Paris, Londres, la
Hollande, la Suisse, l’Allemagne, dans ces lieux confortant l’idée que l’Europe
deviendra une région du Nord, après la déception fréquente de l’Italie (Erasme,
Du Bellay, etc.)
4. Lectures – Humanisme et religion
Le pouvoir humain est presque égal à la nature divine. Ce
que Dieu crée dans le monde de la pensée, l’esprit humain le conçoit dans
l’acte intellectuel, l’exprime par le langage dans ses livres, le représente
par ce qu’il édifie. Qui pourrait alors nier qu’il possède le génie du créateur
?
Marsile Ficin, De Christiana religione (1474)
Voici ceux qu'on appelle ordinairement religieux ou
moines, quoique ces deux noms ne leur conviennent nullement, puisqu'il n'y a
peut-être personne qui ait moins de religion que ces prétendus religieux... La
plupart de ces gens-là ont tant de confiance dans leurs cérémonies et leurs
petites traditions humaines, qu'ils sont persuadés que ce n'est pas trop d'un
paradis pour les récompenser d'une vie passée dans l'observation de toutes ces
belles choses. Ils ne pensent pas que Jésus-Christ, méprisant toutes ces vaines
pratiques, leur demandera s'ils ont observé le grand précepte de la charité. L'un montrera sa bedaine farcie de toutes
sortes de poissons, l'autre videra mille boisseaux de psaumes, récités à tant
de centaines par jour; un autre comptera ses myriades de jeûnes, où l'unique
repas du jour lui remplissait le ventre à crever; un autre fera de ses
pratiques un tas assez gros pour surcharger sept navires, un autre se
glorifiera de n'avoir pas touché à l'argent pendant soixante ans, sinon avec
les doigts gantés, un autre produira son capuchon, si crasseux et si sordide
qu'un matelot ne le mettrait pas sur sa peau; un autre rappellera qu'il a vécu
plus de onze lustres au même lieu, attaché comme une éponge; un autre prétendra
qu'il s'est cassé la voix à force de chanter; un autre qu'il s'est abruti par
la solitude ou qu'il a perdu, dans le silence perpétuel, l'usage de la parole.
Mais le Christ arrêtera le flot sans fin de ces glorifications: « Quelle est, dira-t-il, cette nouvelle
espèce de Juifs ? Je ne reconnais qu'une loi pour la mienne; c'est la
seule dont nul ne me parle. Jadis, et sans user du voile des paraboles, j'ai
promis clairement l'héritage de mon père, non pour des capuchons, petites
oraisons ou abstinences, mais pour les œuvres de foi et de charité. »
Erasme, Eloge de la Folie (1511)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire