1. Origines du
mouvement
1.1. Baroque et classicisme
Alors qu’une France s'éprend tôt de l’harmonie et de l’unité
du classicisme, la fin du XVIe siècle est marquée, en Europe du sud
surtout, par l’exubérance de l’art baroque.
Celui-ci, né de la Contre-réforme catholique (Concile de Trente en 1545) et de
l’enthousiasme des jésuites, se manifeste notamment dans les toiles profondes
de vie du Caravage.
Caravage, Davide con la testa di Golia, 1607 |
Né de la Renaissance, du culte des formes antiques, le Classicisme est l’expression du pouvoir
central, fort et qui tend à l’unité de la nation ; il veut sa composition
claire et ordonnée. Le baroque, qui en un sens s’y oppose, manifeste une
sensibilité étrangère au « positivisme », et recherche davantage le
mouvement.
Poussin, La continence de Scipion, 1640 |
Le classicisme, mouvement d’expression totale — arts et
littérature — décompose ses époques expressives : quand l’architecture et
la peinture dominent le règne de Louis XIV, sa musique ne prendra son essor qu’au
XVIIIe siècle. Quant à la littérature, elle s’intercale entre le
visible artistique et le tempo musical.
1.2. Le terme
Le premier sens du Classicisme, lié à son étymologie — classicus, citoyen de la première classe
— mais exprimé à travers le temps, est le caractère d’une œuvre des auteurs de
l’antiquité, ou de celle qui leur emprunte les traits.
Par la suite, est classique l’œuvre développée dès 1660
en France, qui prend à ces auteurs les caractères principaux : thèmes et
style. C’est à cette époque aussi que l’on rencontre l’idée d’un auteur lu dans
les « classes ». Au XIXe
siècle, la notion s’opposera au Romantisme.
Imiter aujourd'hui
Sophocle et Euripide, et prétendre que ces imitations ne feront pas bâiller le
français du dix-neuvième siècle, c'est du classicisme.
Stendhal, Racine et
Shakespeare, 1823
2. La doctrine
du Classicisme
C’est à cette dernière idée que notre étude s’applique
aujourd’hui. Dès les fondateurs du mouvement — Guez de Balzac, Vincent Voiture,
Honoré d’Urfé — et l’institution de l’Académie française en 1635, les préceptes
de Du Bellay (Défense et illustration de
la langue française) vont connaître une systématisation concrète : il
faut codifier l’usage de la langue,
qui deviendra ainsi celle d’une élite minoritaire. On saura extraire cette
ambition de Port-Royal :
Grammaire générale
et raisonnée : contenant les fondements de l'art de parler, expliqués
d'une manière claire et naturelle, les raisons de ce qui est commun à toutes
les langues, et des principales différences qui s'y rencontrent.
Arnauld et Lancelot, 1660
En 1637, René Descartes, dans le Discours de la méthode, offre des préceptes pour « bien
conduire sa raison », l’objectif
étant de parvenir à la clarté dans
les sciences et la philosophie (Méditations
métaphysiques).
Gissey, Louis XIV en Apollon, 1653 |
La même année, Le
Cid de Corneille baptise le théâtre classique, fondé sur l’idéal moral qui met en scène le conflit
entre la passion et la volonté.
Mais il convient d’être prudent quand on cherche à faire
décanter les caractères principaux d’un mouvement qui voulait unir la beauté de
l’expression à la grandeur de sa pensée, de séparer l’esthétique, le style, des
idées.
2.1. L’harmonie, ou l’unité du langage et de la pensée
Au-delà de l’expression moyenne d’une idée extrême, l’œuvre
classique vise à unifier le langage et la pensée, mais avec une visée ultime :
dire plus qu’il n’est inscrit, jouer avec la psychologie de l’homme,
et plaire. Il est ainsi, comme l’a
dit Gide, un « art de pudeur et de modestie ».
Aussi Boileau donne le secret du poète : ne
présenter que des pensées vraies et
des expressions justes.
Racine, dans le Discours
sur l’essence de la poésie, nous renseigne un peu plus avant :
L’amour naturel que
nous avons pour le plaisir, nous fait rechercher avidement tout ce qui
contribue à flatter nos sens, à émouvoir nos cœurs, ou à contenter nos esprits.
C’est par là que les poètes ont trouvé le secret infaillible de nous plaire :
en même temps qu’ils flattent nos oreilles par la cadence harmonieuse des vers,
tantôt ils émeuvent nos cœurs par les transports sublimes dont ils sont
pénétrés, et qu’ils nous communiquent ; tantôt ils contentent notre esprit
par une fidèle imitation de la nature, souvent plus agréable que la présence même
des objets imités ; et tantôt ils en nourrissent la curiosité par des
fictions amusantes.
2.2. « L’idéologie » classique
Pourtant, on remarque chez les auteurs classiques de
nombreux préceptes d’ordre plus idéologique, et tout d’abord, mise en abîme, une
volonté qui préside à l’unification
du langage et de la pensée, et à la disjonction des passions contre la volonté.
De plus, le mouvement héritier direct de l’Humanisme, et
plus précisément du platonisme de ce dernier, considère bien le langage comme un instrument, certes
plaisant, mais soumis à l’éternité de l’Idée :
Ainsi l’on peut
définir les mots des sons distincts et articulés, dont les hommes ont fait des
signes pour signifier leurs pensées.
Grammaire raisonnée, 1660
On peut proposer ici trois lectures parallèles :
Le mensonge dans les
paroles est une imitation des états de l’âme, une image qui devient par la
suite.
Platon, République,
Livre II, 382b
Les sons/mots de la
voix sont les symboles des états de l’âme.
Aristote, Peri
hermeneias, 16a
[...] le signe
linguistique est arbitraire. Ainsi l’idée de ‘sœur’ n’est liée par aucun
rapport intérieur avec la suite de sons s-ö-r
qui lui sert de signifiant.
F. de Saussure, Cours
de linguistique générale, 1916
Sans engager de débat sur la question, nous pourrions
nous demander lequel des trois extraits se rapproche le plus de la Grammaire, et lequel s’en éloigne, étant plus neutre (indice :
le « symbole » n’est d’abord que chacun des deux morceaux, ou gages, prouvant
les parties au contrat ; voir Hérodote, 6, 86).
Mais en voilà assez, et il n’est plus temps que de
résumer les autres grandes idées du Classicisme : peindre d’après nature, peindre
l’homme surtout, et les traits qui lui sont éternels, écrire avec la certitude
que l’on peut mieux faire puisqu’il y a un Beau de toujours, pour finalement
rendre l’homme aussi bon qu’il puisse le devenir.
3. Les
principaux auteurs du Classicisme
Littérature : précurseurs
René Descartes (1596-1650)
Guez de Balzac (1597-1654)
Vincent Voiture (1597-1648)
Pierre Corneille (1606-1684)
Jean de la Fontaine (1621-1695)
Molière (1622-1673)
Madame de Sévigné (1626-1696)
Madame de La Fayette (1634-1693)
Nicolas Boileau (1636-1711)
Jean Racine (1639-1699)
Jean de La Bruyère (1645-1696)
François Fénelon (1651-1715)
Peinture : précurseur
Annibal Carrache (1560-1609)
Louis Le Nain (v.1593-1648)
Nicolas Poussin (1594-1665)
Claude Lorrain (v.1600-1682)
Charles Le Brun (1619-1690)
Claude Lorrain, Paysage de Délos, 1672 |
4. Lecture
[...]
Un poème excellent, où tout marche et se suit,
N'est pas de ces travaux qu'un caprice produit :
Il veut du temps, des soins ; et ce pénible ouvrage
Jamais d'un écolier ne fut l'apprentissage.
Mais souvent parmi nous un poète sans art,
Qu'un beau feu quelquefois échauffa par hasard,
Enflant d'un vain orgueil son esprit chimérique,
Fièrement prend en main la trompette héroïque.
Sa muse déréglée, en ses vers vagabonds,
Ne s'élève jamais que par sauts et par bonds ;
Et son feu, dépourvu de sens et de lecture,
S'éteint à chaque pas, faute de nourriture.
Mais en vain le public, prompt à le mépriser,
De son mérite faux le veut désabuser ;
Lui-même, applaudissant à son maigre génie,
Se donne par ses mains l'encens qu'on lui dénie ;
VIRGILE, au prix de lui, n'a point d'invention ;
HOMÈRE n'entend point la noble fiction...
Si contre cet arrêt le siècle se rebelle,
À la postérité d'abord il en appelle,
Mais, attendant qu'ici le bon sens de retour
Ramène triomphants ses ouvrages au jour,
Leurs tas, au magasin, cachés à la lumière,
Combattent tristement les vers et la poussière.
Laissons-les donc entre eux s'escrimer en repos,
Et, sans nous égarer, suivons notre propos.
[...]
Nicolas Boileau, Art
poétique, III, 1674
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